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— Tout ceci m’oblige à voir mon vieux Malin, d’abord pour le consoler, puis pour le consulter. Cécile et toi, vous seriez malheureuses avec une vieille famille du faubourg Saint-Germain, on vous ferait sentir votre origine de mille façons, nous devons chercher quelque duc de la façon de Bonaparte qui soit ruiné ; nous serons à même d’avoir ainsi pour Cécile un beau titre, et nous la marierons séparée de biens. Tu peux dire que j’ai disposé de la main de Cécile, nous couperons court ainsi à toutes les demandes saugrenues comme celles d’Antonin Goulard. Le petit Vinet ne manquera pas de s’offrir, il serait préférable à tous les épouseurs qui viendront flairer la dot… Il a du talent, de l’intrigue, et il appartient aux Chargebœuf par sa mère ; mais il a trop de caractère pour ne pas dominer sa femme, et il est assez jeune pour se faire aimer : tu périrais entre ces deux sentiments-là, car je te sais par cœur, mon enfant !

— Je serai bien embarrassée ce soir, chez les Marion, dit Séverine.

— Eh ! bien, mon enfant, répondit Grévin, envoie-moi madame Marion, je lui parlerai, moi !

— Je savais bien, mon père, que vous pensiez à notre avenir, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il fût si brillant, dit madame Beauvisage en prenant les mains de son père et les lui baisant.

— J’y avais si profondément pensé, reprit Grévin, qu’en 1831, j’ai acheté l’hôtel de Beauséant.

Madame Beauvisage fit un vif mouvement de surprise, en apprenant ce secret si bien gardé, mais elle n’interrompit point son père.

— Ce sera mon présent de noces, dit-il. En 1832, je l’ai loué pour sept ans à des Anglais, à raison de vingt-quatre mille francs, une jolie affaire, car il ne m’a coûté que trois cent vingt-cinq mille francs, et en voici près de deux cent mille de retrouvés. Le bail finit le 15 juillet de cette année.

Séverine embrassa son père au front et sur les deux joues. Cette dernière révélation agrandissait tellement son avenir, qu’elle eut comme un éblouissement.