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Après la révolution de Juillet, Malin, en passant par Arcis, dit à Grévin : — Veux-tu la croix ? — Qué que j’en ferais ? répondit Grévin.

L’un n’avait jamais failli à l’autre ; tous deux s’étaient toujours mutuellement éclairés, conseillés ; l’un sans jalousie, et l’autre sans morgue ni prétention blessante. Malin avait toujours été obligé de faire la part de Grévin, car tout l’orgueil de Grévin était le comte de Gondreville. Grévin était autant comte de Gondreville que le comte de Gondreville lui-même.

Cependant, depuis la révolution de Juillet, moment où Grévin, se sentant vieilli, avait cessé de gérer les biens du comte, et où le comte, affaibli par l’âge et par sa participation aux tempêtes politiques, avait songé à vivre tranquille, les deux vieillards, sûrs d’eux-mêmes, mais n’ayant plus tant besoin l’un de l’autre, ne se voyaient plus guère. En allant à sa terre, ou en retournant à Paris, le comte venait voir Grévin, qui faisait seulement une ou deux visites au comte pendant son séjour à Gondreville.

Il n’existait aucun lien entre leurs enfants. Jamais ni madame Keller ni la duchesse de Carigliano n’avaient eu la moindre relation avec mademoiselle Grévin, ni avant ni après son mariage avec le bonnetier Beauvisage. Ce dédain involontaire ou réel surprenait beaucoup Séverine.

Grévin, maire d’Arcis sous l’Empire, serviable pour tout le monde, avait, durant l’exercice de son ministère, concilié, prévenu beaucoup de difficultés.

Sa rondeur, sa bonhomie et sa probité lui méritaient l’estime et l’affection de tout l’arrondissement ; chacun, d’ailleurs, respectait en lui l’homme qui disposait de la faveur, du pouvoir et du crédit du comte de Gondreville. Néanmoins, depuis que l’activité du notaire et sa participation aux affaires publiques et particulières avaient cessé ; depuis huit ans, son souvenir s’était presque aboli dans la ville d’Arcis, où chacun s’attendait, de jour en jour, à le voir mourir. Grévin, à l’instar de son ami Malin, paraissait plus végéter que vivre, il ne se montrait point, il cultivait