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— Il ajouta, reprit Franchessini, qu’on ne le comprenait pas, qu’on l’esquintait, un souvenir de sa langue d’une autre époque, à de pures niaiseries ; qu’il se sentait ; qu’il y avait en lui des qualités puissantes, faites pour se montrer dans une sphère plus élevée ; que, d’ailleurs, il avait dressé quelqu’un pour le remplacer ; qu’enfin il fallait que je vous visse ; que, député maintenant, j’avais la parole et devais vous faire comprendre la portée possible de votre refus.

— Mon cher, répondit vivement Rastignac, je vous dirai, comme en commençant cette conversation, que c’est un insensé, et que jamais les fous ne m’ont fait peur, pas plus les gais que les furieux.

— Je vous avoue que, moi-même, je voyais bien des difficultés à sa prétention. Tâchant pourtant de le calmer, je lui promis de vous voir, l’engageant à remarquer seulement que c’était une affaire où il ne fallait rien brusquer ; et le fait est que, sans une circonstance toute particulière, de bien longtemps peut-être je ne vous en eusse dit un mot.

— Et cette circonstance ? demanda le ministre.

— Hier matin, répliqua le colonel, à son arrivée d’Arcis-sur-Aube, j’ai eu la visite de Maxime…

— Je sais, répondit Rastignac : il m’a parlé de cette idée, quelque chose qui n’a pas le sens commun. Ou l’homme sur lequel il veut lâcher votre dogue a une valeur, ou il n’en a pas. S’il n’en a pas, il est parfaitement inutile d’employer un instrument dangereux et suspect pour neutraliser ce qui n’existe pas. Si, au contraire, nous avons affaire à un homme de tribune, il a, dans la tribune d’abord et dans les journaux ensuite, tout ce qui est nécessaire, non-seulement pour parer les coups fourrés que nous pourrions lui porter, mais encore pour les retourner contre nous. Règle générale : dans un pays de publicité effrénée comme le nôtre, partout où apparaît la main de la police, fût-ce même pour dévoiler la plus honteuse des turpitudes, on est sûr que l’opinion crie haro au gouvernement ; Elle fait comme cet homme devant lequel on chantait un air de Mozart, pour lui prouver que Mozart était un grand musicien. Vaincu par l’évidence :