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dîner, un acte de haut courage. Il faut remarquer cependant que, de sa nature, un juge d’instruction est quelque chose de divisible. Par le côté du juge il est inamovible, et il n’y a en lui de sujet au changement que son titre, le léger supplément de traitement qui lui est alloué et le privilège de décerner des mandats et d’interroger les voleurs, droits superbes qui, d’un trait de plume, peuvent lui être retirés par la chancellerie. Enfin, mettons qu’au moins monsieur Martener est un demi-brave ; du reste il fut accueilli comme une lune tout entière.

À côté de la présence du duc de Maufrigneuse, de celle de Darthez et de celle surtout de monseigneur l’évêque, qui est pour quelques jours au château de Cinq-Cygne, une absence qui fit une sensation profonde, quoique l’excuse, envoyée dès le matin, n’ait pas été proclamée en séance publique, ce fut celle de l’ancien notaire Grévin. Pour le comte de Gondreville, aussi délinquant, il n’y avait rien à dire : la perte toute récente de son petit-fils, Charles Keller, ne lui permettait pas de se trouver à la réunion, et en lui adressant une invitation conditionnelle, Sallenauve avait eu soin dans sa lettre de se faire à lui-même le refus ; mais Grévin, le bras droit du comte de Gondreville pour lequel il a eu des dévouements, certes plus compromettants et plus difficiles que celui de dîner en ville, Grévin, ne venant pas, ne semblait-il pas témoigner par là que son patron tenait encore pour la candidature aujourd’hui à peu près désertée de Beauvisage ? et cette influence qui se dérobait, comme on dit dans la langue du sport, était vraiment pour nous d’assez grande considération.

Maître Achille Pigoult, le successeur de Grévin, essaya bien d’objecter que le vieillard vivait dans une retraite absolue et qu’à grand’peine, deux ou trois fois par an, on pouvait l’avoir à dîner chez son gendre. Mais on rétorqua vivement l’argument, en faisant remarquer qu’à un dîner donné par le sous-préfet, pour mettre en rapport la famille Beauvisage avec monsieur Maxime de Trailles, Grévin avait parfaitement accepté d’être l’un des convives. Nous aurons donc encore, du côté du château de Gondreville, un certain