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son parti fut pris : trouvant moyen de s’échapper pour quelques semaines, il arriva en toute diligence, vint me surprendre, et vous donna rendez-vous ici. Mais dans le voyage à la fois long et rapide qu’il entreprenait, il devait craindre que la somme importante destinée à préparer le succès de votre élection ne courût quelque risque ; alors il la fit passer par le canal des banquiers, en exigeant qu’elle pût être touchée à jour fixe. Voilà pourquoi, à votre arrivée ici, je vous ai fait une question qui a pu vous surprendre. Maintenant, je vous en adresse une autre, et celle-ci a plus de gravité : Consentez-vous à prendre le nom de monsieur de Sallenauve et à être reconnu pour son fils ?

— Je ne suis pas légiste, répondis-je ; mais il me semble que cette reconnaissance, en supposant que je ne dusse pas m’en trouver très-honoré, il ne dépendrait pas tout à fait de moi de la décliner.

— Pardonnez-moi, repartit Jacques Bricheteau, vous pourriez être le fils d’un père peu recommandable, avoir par conséquent intérêt à contester sa paternité, et dans le cas particulier où nous nous trouvons, vous pourriez probablement plaider avec avantage contre la faveur que l’on veut vous faire. Je dois d’ailleurs vous le dire ; et, en parlant ainsi, je suis sûr d’exprimer les intentions de monsieur votre père, si vous pensiez qu’un homme qui déjà, dans l’intérêt de votre élection, a mis un demi-million dehors, n’est pas un père tout à fait convenable, nous vous laisserions tout à fait libre, et n’insisterions d’aucune façon.

— Parfaitement, parfaitement, dit monsieur de Sallenauve en mettant à cette affirmation un accent bref et un son de voix clairet particuliers aux débris de la vieille aristocratie.

La politesse, pour le moins, me forçait à dire que j’acceptais avec empressement la paternité qui s’offrait à moi ; à quelques mots que je prononçai dans ce sens :

— Du reste, répondit gaiement Jacques Bricheteau, notre pensée n’est pas de vous faire acheter père en poche. Moins pour provoquer une confiance que dès à présent il se croit acquise, que pour vous mettre à même de connaître la fa-