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chirer le voile dont nous avions eu soin de vous lever un coin pour que vous n’allassiez pas trop brusquement vous heurter contre le grand et heureux événement près de s’accomplir dans votre vie.

— Mon père serait ici ?

Je fis cette question avec vivacité, mais sans pourtant ressentir le trouble profond dont l’idée d’aller embrasser une mère m’eût probablement pénétré.

— Oui, répondit Jacques Bricheteau, votre père vous attend, mais je dois vous prémunir contre une nuance probable de son accueil. Le marquis a beaucoup souffert ; la vie de cour que depuis il a menée l’a habitué à rendre peu extérieures ses impressions ; d’ailleurs, en tout, il a horreur de ce qui peut rappeler l’allure bourgeoise ; ne vous étonnez donc pas de la réception froidement digne et aristocratique qu’il pourrait être disposé à vous faire ; c’est un bon homme au fond et que vous apprécierez mieux quand vous le connaîtrez.

— Voilà, pensais-je, des préparations tout juste rassurantes, et comme déjà, de moi-même, je ne me sentais pas très-ardemment disposé, j’augurai que cette première entrevue allait se passer tout entière au-dessous de zéro.

En entrant dans la pièce où m’attendait le marquis, je vis un homme fort grand, fort maigre et fort chauve, assis à une table, sur laquelle il mettait en ordre des papiers. Au bruit que nous fîmes en ouvrant la porte, il remonta ses lunettes sur son front, appuya ses deux mains sur les bras de son fauteuil, et, le visage tourné vers nous, il attendit.

— Monsieur le comte de Sallenauve ! dit Jacques Bricheteau en donnant à cette annonce toute la solennité qu’y eût mise un introducteur des ambassadeurs ou un chambellan.

Cependant la présence de l’homme auquel je devais la vie avait en un moment fondu ma glace, et, en m’avançant vers lui d’un mouvement vif et empressé, je me sentais monter des larmes dans les yeux.

Lui ne se leva pas. Sur sa figure, de cette distinction remarquable qu’autrefois on appelait un grand air, ne parut pas la trace de la moindre émotion ; il se contenta de me