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ment inconvenant, trouvant qu’il était temps de couper court à cette scène :

— Enfin, lui dis-je d’un ton péremptoire, je voulais dormir cette nuit ; je suis donc allée au collège par une pluie battante ; m’en voilà revenue par un magnifique clair de lune et je vous prie de remarquer qu’après avoir bien voulu prendre la peine de m’accompagner, monsieur, qui nous quitte demain, a pris celle de remonter jusqu’ici afin de vous faire ses adieux.

J’ai habituellement trop d’empire sur monsieur de l’Estorade pour que ce rappel à l’ordre ne fît pas son effet, mais décidément je vis qu’il y avait dans son fait, du mari mécontent, car ayant voulu faire de monsieur Dorlange une diversion, bientôt je m’aperçus que j’en avais fait une proie pour la mauvaise humeur de mon ogre de mari qui se tourna tout entière de son côté.

Après lui avoir dit que chez le ministre où il venait de dîner il avait été fort question de sa candidature, monsieur de l’Estorade commença par lui distiller avec amour toutes les raisons qu’il avait de craindre pour lui un éclatant échec ; que le collège d’Arcis-sur-Aube était un de ceux où le ministère était le plus sûr de son fait ; qu’on avait envoyé là un homme d’une habileté rare, qui déjà, depuis plusieurs jours, travaillait l’élection et avait fait passer au gouvernement les nouvelles les plus triomphantes. Mais ce n’étaient là que des généralités auxquelles d’ailleurs monsieur Dorlange répondit avec une grande modestie et avec toute l’apparence d’un homme ayant d’avance pris son parti des fortunes diverses auxquelles pouvait être exposée son élection. Monsieur de l’Estorade lui gardait un dernier trait qui, dans la situation donnée, devenait d’un effet merveilleux, puisque du même coup il atteignait le candidat et le galant, en supposant que galant il y eût.

— Écoutez, mon cher monsieur, dit monsieur de l’Estorade à sa victime, quand on court la carrière électorale, il faut se représenter qu’on met tout en jeu : sa vie publique comme sa vie privée. Dans votre présent, dans votre passé, les adversaires fouillent d’une main impitoyable, et mal-