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Grandville, procureur général près la cour royale de Paris, sous la Restauration.

Quoi qu’il en soit, le vrai et le faux de mes suppositions, je l’ignore, et, selon toute apparence, je l’ignorerai longtemps. Mais, tu le comprends, planant sur toutes ces ténèbres, la pensée de Marianina doit être pour moi un point lumineux qui malgré moi attire mon œil. Faut-il l’aimer ? faut-il la haïr et la mépriser ? Voilà ce que je me demande tous les jours, et à ce régime d’incertitude le souvenir d’une femme a bien plutôt, je crois, la chance de s’installer que celle de se perdre.

Maintenant, n’est-ce pas une diabolique combinaison que justement à mon ciseau on vienne demander une pâle fille des cloîtres ?

Ma mémoire, en ce cas, ne devenait-elle pas de nécessité mon imagination, et pouvais-je inventer autre chose que l’obsédante image si profondément gravée dans mon esprit ? Sur ce, survient une Marianina en chair et en os, et parce que, pour la plus grande commodité de son travail, l’artiste profite de cette faveur du hasard, il devra du même coup avoir opéré le transport de son cœur ; et de plain-pied, à ma charmante élève mise encore en relief par la double auréole du fruit défendu et du mystère, se substituerait la glaciale madame de l’Estorade ?

D’un mot, il faut en finir avec toutes tes suppositions. L’autre jour, à rien n’a tenu qu’à sa prétendue rivale je contasse tout le roman de mademoiselle de Lanty. Si j’avais quelque prétention sur cette femme qui ne sait rien aimer que ses enfants, une belle cour, il faut en convenir, que je lui faisais avec mon récit !

Donc, pour nous résumer, l’opinion de monsieur Bixiou, je m’en soucie à peu près comme des roses de l’an passé. Donc, je ne sais pas si j’aime Marianina ; mais je suis bien sûr de n’aimer point madame de l’Estorade. Voilà, ce semble, répondre franc et clair. Maintenant, laissons faire l’avenir, qui est notre maître à tous.