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» Éprise d’un Français nommé le comte de Lanty, qui passait pour un chimiste très-habile, sans que d’ailleurs on sût trop rien de ses antécédents, la belle héritière n’avait qu’à grand’peine obtenu de son oncle la permission d’épouser l’homme qu’elle avait distingué.

» Mais en donnant, de guerre lasse, les mains à ce mariage, l’oncle avait stipulé que sa nièce ne se séparerait pas de lui. Pour mieux assurer l’exécution de cet engagement, ne lui constituant pas de dot, il ne s’était point dessaisi de la moindre partie de sa fortune, dont, au reste, il faisait jouir son entourage avec une grande générosité.

» Ennuyé partout, et sans cesse poussé par un invincible besoin de locomotion, le fantasque vieillard, traînant à sa suite le ménage dont, au moins viagèrement, il s’était ménagé le respect et l’affection, avait été successivement s’établir sur les points les plus éloignés du globe.

» En 1829, presque centenaire et tombé dans une sorte d’idiotisme qui néanmoins le laissait encore lucide quand il entendait de la musique, on avait à traiter une question d’intérêt avec les Lanty et deux enfants nés de leur mariage, il était venu s’installer dans un splendide hôtel du faubourg Saint-Honoré.

» Là tout Paris était venu, attiré par la beauté toujours éclatante de madame de Lanty, par les grâces naïves de sa fille Marianina, par la splendeur des fêtes vraiment royales, et par une incroyable senteur d’inconnu qu’exhalait l’atmosphère de ces mystérieux étrangers. Les commentaires surtout étaient infinis à l’endroit de ce petit vieillard qui, à la fois entouré de soins et d’égards et ayant l’air d’être tenu en charte privée, se glissait parfois comme un spectre au milieu des raouts somptueux dont on s’efforçait de le faire absent, et qu’il semblait prendre un malicieux plaisir à effarer de ses apparitions.

» Les coups de fusil de juillet 1830 avaient mis en fuite le fantôme, et en quittant Paris, au grand désespoir des Lanty, il avait voulu obstinément revoir Rome, sa ville natale, où sa présence avait ravivé tous les humiliants souvenirs. de son passé. Mais Rome avait été sa dernière étape ;