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Néanmoins, pour ce qui est du monument de Ville-d’Avray, rien ne me décidera à m’en charger. J’ai déjà dit à monsieur de l’Estorade un empêchement qui, de jour en jour, se dessine pour moi plus absolu ; je trouve d’ailleurs misérable que Marie-Gaston s’étudie ainsi à ruminer sa douleur, et je lui ai écrit dans ce sens. Il faut enfin qu’il soit homme, et qu’il demande à l’étude et au travail les consolations qui toujours peuvent en être attendues.

Le sujet de ma visite était épuisé et je n’avais pas, pour le présent, l’espérance d’aller au fond de toutes les obscurités qu’il me faudra pourtant pénétrer. Au moment où je me levais pour partir :

— Puis-je compter, me demanda monsieur Dorlange, que vous n’exigerez pas à ma statue des dégradations trop considérables ?

— C’est à mon mari, bien plus qu’à moi, à vous répondre ; d’ailleurs, nous en reparlerons, car monsieur de l’Estorade espère bien que vous nous ferez l’honneur de votre visite.

Monsieur Dorlange s’inclina en signe d’acquiescement respectueux, et nous sortîmes.

Comme il nous reconduisait jusqu’à notre voiture, sans avoir osé, je pense, m’offrir son bras, je vins à me retourner pour appeler Naïs qui s’approchait imprudemment d’un chien des Pyrénées, couché dans la cour. J’aperçus alors, derrière le rideau d’une des fenêtres, la belle gouvernante, avidement occupée à me suivre des yeux. En se voyant surprise dans cette curiosité, elle ferma le rideau avec une brusquerie marquée.

— Allons, pensai-je, voilà cette fille jalouse de moi ; craindrait-elle, par hasard, qu’au moins comme modèle, je ne lui fasse concurrence ?

En somme, je sortis d’une humeur massacrante ; j’étais outrée contre Naïs, contre mon mari, et je fus sur le point de lui faire une scène à laquelle, bien certainement, il n’eût rien compris.

Qu’en pensez-vous, chère madame ? Cet homme est-il un des fourbes les plus adroits que l’on puisse rencontrer, ayant su, tout d’un coup, pour se tirer d’un mauvais pas,