Page:Balzac-Le député d'Arcis-1859.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pendant quatre ans, de 1827 à 1831, époque à laquelle, Dorlange partit pour Rome, les deux amis ne s’étaient pas quittés. Avec sa pension de deux mille quatre cents francs, toujours exactement payée par les soins du nain mystérieux, Dorlange était une sorte de marquis d’Aligre. Réduit à ses seules ressources, au contraire, Marie-Gaston eût vécu dans une gêne extrême ; mais entre gens qui s’aiment, et l’espèce est plus rare qu’on ne l’imagine, tout d’un côté et rien de l’autre, est une raison déterminante pour une association. Sans compter, nos deux pigeons mirent en société leur avoir : logis, argent, peines, plaisirs, espérances, tout entre eux fut commun ; ils n’eurent en quelque sorte qu’une vie à deux.

Malheureusement pour Marie-Gaston ses efforts ne furent pas, comme ceux de Dorlange, couronnés de succès. Son volume de vers, soigneusement retouché et refondu, beaucoup d’autres poésies tombées de sa plume, deux ou trois pièces de théâtre dont il enrichit son portefeuille ; tout cela, faute de bonne volonté dans les directeurs de spectacles et dans les éditeurs, demeura impitoyablement inédit. L’association, sur les instances de Dorlange, prit alors un parti violent : elle fit des économies, et sur ces économies trouva la somme nécessaire à l’impression d’un volume. Le titre était charmant : les Perce-Neiges ; la couverture, du plus joli gris-perle, les blancs à profusion, plus une délicieuse vignette dessinée par Dorlange.

Mais le public fit comme les éditeurs et les directeurs de théâtre : il ne voulut ni acheter, ni lire ; si bien qu’un jour de loyer, dans un accès de désespoir, Marie-Gaston fit venir un bouquiniste et lui livra l’édition tout entière au prix de trois sous le volume, d’où bientôt une inondation de Perce-Neiges s’étendant le long des quais, à tous les étalages, depuis le pont Royal jusqu’au pont Marie.

Cette blessure était encore saignante au cœur du poète, lorsqu’il fût question que Dorlange se mît en route pour l’Italie.

Dès lors, plus de communauté possible.

Averti par l’entremise du nain mystérieux que la subvention de sa famille continuerait à lui être payée à Rome chez