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Êtes-vous bien sûr que, de la part des Chaulieu, avec lesquels vous ne vivez pas en très-bonne intelligence, vous ne serez pas exposé à de certaines difficultés ?

Jusqu’à un certain point, en effet, ne pourraient-ils pas être admis à se plaindre, qu’en transportant du cimetière communal dans une propriété close et fermée, une sépulture qui comme à vous leur est chère, vous soumettez entièrement à votre bon plaisir les visites qu’il peut leur convenir de faire à cette tombe ? car enfin, cela est évident, il vous sera toujours loisible de leur interdire l’accès de votre propriété.

Je sais bien qu’en droit rigoureux, morte ou vivante, la femme appartient à son mari, et cela à l’exclusion de sa parenté, même la plus proche ; mais que, sous l’inspiration du mauvais vouloir dont ils vous ont déjà donné plus d’une preuve, les parents de madame Marie-Gaston aient la fâcheuse idée de porter leur opposition sur le terrain judiciaire, quel affligeant débat !

Vous gagnerez le procès, je veux bien ne pas en douter, l’influence du duc de Chaulieu n’étant plus ce qu’elle a été sous la Restauration ; mais avez-vous pensé à tout le venin que la parole d’un avocat peut répandre sur une pareille question, quand après tout il se fera l’écho d’une réclamation respectable, celle d’un père, d’une mère et de deux frères demandant à ne pas être dépossédés du douloureux bonheur d’aller prier sur un cercueil ?

S’il faut d’ailleurs vous dire toute ma pensée, ce n’est pas sans un vif regret que je vous vois occupé à créer un nouvel aliment à votre douleur, trop longtemps inconsolable.

Nous avions espéré qu’après deux ans passés en Italie, vous nous reviendriez plus résigné, et qu’enfin vous prendriez sur vous de demander à la vie active quelques-unes de ses distractions. Évidemment, cette espèce de temple, que vous vous proposez d’élever, à la ferveur de vos souvenirs, dans un lieu où ils ne se pressent déjà que trop nombreux, ne peut servir qu’à en éterniser l’amertume et je ne saurais vous louer du rajeunissement que vous proposez ainsi de leur ménager.