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riez-vous pas le mettre à même de les payer ? dit la marquise à Rastignac.

En ce moment Rastignac était pour la seconde fois ministre, il venait d’être fait comte presque malgré lui ; son beau-père, le baron de Nucingen, avait été nommé pair de France, son frère était évêque, le comte de la Roche-Hugon, son beau-frère, était ambassadeur, et il passait pour être indispensable dans les combinaisons ministérielles à venir.

— Vous oubliez toujours, chère marquise, répondit Rastignac, que notre gouvernement n’échange son argent que contre de l’or, il ne comprend rien aux hommes.

— Maxime est-il homme à se brûler la cervelle ? demanda le banquier du Tillet.

— Ah ! tu le voudrais bien, nous serions quittes, répondit au banquier le comte Maxime de Trailles que chacun croyait parti.

Et le comte se dressa comme une apparition du fond d’un fauteuil placé derrière celui du chevalier d’Espard. Tout le monde se mit à rire.

— Voulez-vous une tasse de thé ? lui dit la jeune comtesse de Rastignac que la marquise avait priée de faire les honneurs à sa place.

— Volontiers, répondit le comte en venant se mettre devant la cheminée.

Cet homme, le prince des mauvais sujets de Paris, s’était jusqu’à ce jour soutenu dans la position supérieure qu’occupaient les dandies, alors appelés Gants jaunes, et depuis Lions. Il est assez inutile de raconter l’histoire de sa jeunesse pleine d’aventures galantes et marquée par des drames horribles où il avait toujours su garder les convenances. Pour cet homme, les femmes ne furent jamais que des moyens, il ne croyait pas plus à leurs douleurs qu’à leurs plaisirs ; il les prenait, comme feu de Marsay, pour des enfants méchants.

Après avoir mangé sa propre fortune, il avait dévoré celle d’une fille célèbre, nommée la Belle Hollandaise, mère de la fameuse Esther Gobseck. Puis il avait causé les malheurs