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leur vie s’étend à leurs pensées. Rarement des circonstances spéciales viennent donner de la publicité et de l’avenir à ces sentimens, à ces opinions, à ces observations ; soit que leurs jours s’écoulent au milieu des occupations, des plaisirs et des peines de la vie domestique, soit que leur tombeau s’ouvre avant la vieillesse, et que tout s’évanouisse à la fois, beauté, grâces, intelligence, faculté d’aimer, de sentir et de penser.

Ainsi disparut Emma Beatoun. Le seul peut-être entre tous les hommes qui ait pu entrevoir les éclairs de génie, les trésors de naïve et de modeste sagesse que cet esprit supérieur renfermait, j’ose à peine inscrire ici quelques-uns de mes souvenirs à cet égard, de peur qu’une légèreté trop commune n’élève un doute sur la véracité de ces souvenirs même. Tous les jugemens qu’elle portait émanant d’une pensée vierge et forte, et n’ayant rien d’emprunté ni de factice, étaient cependant précieux à recueillir. Je ne citerai qu’une de ses opinions, qui me paraît faite pour frapper les esprits, dans un temps où l’on s’occupe beaucoup de littérature étrangère. On sait qu’aux yeux de la plupart des critiques, le Roméo