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L’HOMME DE COUR

XV

Se servir d’esprits auxiliaires.

C’est où consiste le bonheur des grands que d’avoir auprès d’eux des gens d’esprit qui les tirent de l’embarras de l’ignorance en leur débrouillant les affaires. De nourrir des sages, c’est une grandeur qui surpasse le faste barbare de ce Tigrané qui affectait de se faire servir par les rois qu’il avait vaincus. C’est un nouveau genre de domination que de faire par adresse nos serviteurs de ceux que la nature a fait nos maîtres. L’homme a beaucoup à savoir, et peu à vivre ; et il ne vit pas s’il ne sait rien. C’est donc une singulière adresse d’étudier sans qu’il en coûte, et d’apprendre beaucoup en apprenant de tous. Après cela, vous voyez un homme parler dans une assemblée par l’esprit de plusieurs ; ou plutôt ce sont autant de sages qui parlent par sa bouche, qu’il y en a qui l’ont instruit auparavant. Ainsi, le travail d’autrui le fait passer pour un oracle, attendu que ces sages lui dressent sa leçon, et lui distillent leur savoir en quintessence. Au reste, que celui qui ne pourra avoir la sagesse pour servante tâche du moins de l’avoir pour compagne.

XVI

Le savoir et la droite intention.

L’un et l’autre ensemble sont la source des bons succès. Un bon entendement avec une mauvaise volonté, c’est un mariage monstrueux.