Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
L’HOMME DE COUR

souvent des grâces reçues des personnes absentes, c’est rechercher celles de ceux qui sont présents ; c’est vendre le crédit des uns aux autres. Ainsi l’homme prudent ne doit jamais publier, ni les disgrâces, ni les défauts, mais bien les faveurs et les honneurs ; ce qui sert à conserver l’estime des amis, et à contenir les ennemis dans leur devoir.

CXXX

Faire, et faire paraître.

Les choses ne passent point pour ce qu’elles sont, mais pour ce qu’elles paraissent être. Savoir faire, et le savoir montrer, c’est double savoir. Ce qui ne se voit point est comme s’il n’était point. La raison même perd son autorité, lors qu’elle ne paraît pas telle. Il y a bien plus de gens trompés que d’habiles gens. La tromperie l’emporte hautement, d’autant que les choses ne sont regardées que par le dehors. Bien des choses paraissent tout autres qu’elle ne sont. Le bon extérieur est la meilleure recommandation de la perfection intérieure.

CXXXI

Le procédé de galant homme.

Les âmes ont leur galanterie et leur gentillesse, d’où se forme le grand cœur. Cette perfection ne se rencontre pas en toutes sortes de personnes, parce qu’elle suppose un fonds de générosité. Son