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L’HOMME DE COUR

X

Fortune et renommée.

L’une a autant d’inconstance que l’autre a de fermeté. La première sert durant la vie, et la seconde après. L’une résiste à l’envie, l’autre à l’oubli. La fortune se désire, et se fait quelquefois avec l’aide des amis ; la renommée se gagne à force d’industrie. Le désir de la réputation naît de la vertu. La renommée a été et est la sœur des géants : elle va toujours par les extrémités de l’applaudissement, ou de l’exécration.

XI

Traiter avec ceux de qui l’on peut apprendre.

La conversation familière doit servir d’école d’érudition et de politesse. De ses amis, il en faut faire ses maîtres, assaisonnant le plaisir de converser de l’utilité d’apprendre. Entre les gens d’esprit la jouissance est réciproque. Ceux qui parlent sont payés de l’applaudissement qu’on donne à ce qu’ils disent ; et ceux qui écoutent, du profit qu’ils en reçoivent. Notre intérêt propre nous porte à converser. L’homme d’entendement fréquente les bons courtisans, dont les maisons sont plutôt les théâtres de l’héroïsme que les palais de la vanité. Il y a des hommes qui, outre qu’ils sont eux-mêmes des oracles qui instruisent autrui par leur exemple, ont encore ce bonheur que leur cortège est une académie de prudence et de politesse.