Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
L’HOMME DE COUR

les autres, et plus elles sont glissantes et sujettes au revers. La brièveté de la jouissance est quelquefois récompensée par la qualité du plaisir. La fortune se lasse de porter toujours un même homme sur son dos.

XXXIX

Connaître l’essence et la saison des choses, et savoir s’en servir.

Les œuvres de la nature arrivent toujours au point ordinaire de leur perfection ; elles vont toujours en augmentant, jusqu’à ce qu’elles y parviennent ; et puis toujours en diminuant, dès qu’elles y sont parvenues. Au contraire, celles de l’art ne sont presque jamais si parfaites qu’elles ne le puissent encore être davantage. C’est une marque de goût fin de discerner ce qu’il y a d’excellent dans chaque chose ; mais peu de gens en sont capables, et ceux qui le peuvent ne le font pas toujours. Il y a un point de maturité jusque dans les fruits de l’entendement, et il importe de connaître ce point pour en faire son profit.

XL

Se faire aimer de tous.

C’est beaucoup d’être admiré, mais c’est encore plus d’être aimé. La bonne étoile y contribue quelque chose, mais l’industrie tout le reste ; celle-ci achève ce que l’autre ne fait que com-