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L’HOMME DE COUR

III

Ne se point ouvrir, ni déclarer.

L’admiration que l’on a pour la nouveauté est ce qui fait estimer les succès. Il n’y a point d’utilité, ni de plaisir, à jouer à jeu découvert. De ne se pas déclarer incontinent, c’est le moyen de tenir les esprits en suspens, surtout dans les choses importantes, qui font l’objet de l’attente universelle. Cela fait croire qu’il y a du mystère en tout, et le secret excite la vénération. Dans la manière de s’expliquer, on doit éviter de parler trop clairement ; et, dans la conversation, il ne faut pas toujours parler à cœur ouvert. Le silence est le sanctuaire de la prudence. Une résolution déclarée ne fut jamais estimée. Celui qui se déclare s’expose à la censure, et, s’il ne réussit pas, il est doublement malheureux. Il faut donc imiter le procédé de Dieu, qui tient tous les hommes en suspens.

IV

Le savoir et la valeur
font réciproquement les grands hommes.

Ces deux qualités rendent les hommes immortels, parce qu’elles le sont. L’homme n’est grand qu’autant qu’il sait ; et, quand il sait, il peut tout. L’homme qui ne sait rien, c’est le monde en ténèbres. La prudence et la force sont ses yeux et ses mains. La science est stérile, si la valeur ne l’accompagne.