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L’HOMME DE COUR

toujours dans ce qui est le plus à propos. Il leur vient toujours beaucoup, et tout bon ; fécondité très heureuse ; mais un bon goût assaisonne toute la vie.

CCXCIX

Laisser avec la faim.

Il faut laisser les gens avec le nectar sur les lèvres. Le désir est la mesure de l’estime. Jusque dans la soif du corps, c’est une finesse de bon goût que de la provoquer, et de ne la contenter jamais entièrement. Le bon est doublement bon lorsqu’il y en a peu. Le rabais est grand à la seconde fois. La jouissance trop pleine est dangereuse, car elle est cause que l’on méprise la plus haute perfection. L’unique règle de plaire est de trouver un appétit que l’on a laissé affamé. S’il le faut provoquer, que ce soit plutôt par l’impatience du désir, que par le dégoût de la jouissance. Une félicité qui coûte de la peine, contente doublement.

CCC

Enfin, être saint.

C’est dire tout en un seul mot. La vertu est la chaîne de toutes les perfections, et le centre de toute la félicité. Elle rend l’homme prudent, attentif, avisé, sage, vaillant, retenu, intègre, heureux, plausible, véritable, et héros en tout. Trois S le font heureux : la santé, la sagesse, la sain-