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L’HOMME DE COUR

choix celui des esprits solides. La première est plus rare, et plus estimée, attendu que beaucoup de gens ont réussi à bien choisir, et très peu à bien inventer et à avoir la primauté de l’excellence, aussi bien que celle du temps. La nouveauté est insinuante et, si elle est heureuse, elle relève doublement ce qui est bon. Dans les choses où il y va de jugement, elle est dangereuse, à cause qu’elle donne dans le paradoxe ; dans celles où il ne s’agit que de subtilité, elle est louable ; et si la nouveauté et l’invention rencontrent bien, elles sont plausibles.

CCLXXXIV

Ne te mêle point des affaires d’autrui,
et tu ne seras point mal dans les tiennes.

Estime-toi, si tu veux que l’on t’estime. Sois plutôt avare que prodigue de toi. Fais-toi désirer, et tu seras bien reçu. Ne viens jamais que l’on ne t’appelle, et ne va jamais que l’on ne t’envoie. Celui qui s’engage de son chef se charge de toute la haine s’il ne réussit pas ; et, quand il réussit, on ne lui en sait point de gré. L’homme qui est trop intrigant est le but du mépris ; et, comme il s’introduit sans honte, il est repoussé avec confusion.

CCLXXXV

Ne se pas perdre avec autrui.

Sache que celui qui est dans le bourbier ne t’appelle que pour se consoler à tes dépens,