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L’HOMME DE COUR

XXIX

Être homme droit.

Il faut toujours être du côté de la raison, et si constamment que ni la passion vulgaire, ni aucune violence tyrannique ne fasse jamais abandonner son parti. Mais où trouvera-t-on ce phénix ? Certes, l’équité n’a guère de partisans, beaucoup de gens la louent, mais sans lui donner entrée chez eux. Il y en a d’autres qui la suivent jusqu’au danger, mais quand ils y sont, les uns, comme faux amis, la renient, et les autres, comme politiques, font semblant de ne la pas connaître. Elle, au contraire, ne se soucie point de rompre avec les amis, avec les puissances, ni même avec son propre intérêt ; et c’est là qu’est le danger de la méconnaître. Les gens rusés se tiennent neutres, et, par une métaphysique plausible, tâchent d’accorder la raison d’État avec leur conscience. Mais l’homme de bien prend ce ménagement pour une espèce de trahison, se piquant plus d’être constant que d’être habile. Il est toujours où est la vérité, et s’il laisse quelquefois les gens, ce n’est pas qu’il soit changeant, mais parce qu’ils ont été les premiers à abandonner la raison.

XXX

N’affecter point d’emplois extraordinaires, ni chimériques.

Cette affectation ne sert qu’à s’attirer du mépris. Le caprice a formé plusieurs sectes,