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L’HOMME DE COUR

CCLXXII

Vendre les choses à prix de courtoisie.

C’est le moyen d’obliger davantage. La demande de l’intéressé n’égalera jamais la bonne grâce à donner d’un cœur généreux, obligé. La courtoisie ne donne pas, mais elle engage, et la galanterie est ce qui rend l’obligation plus grande. Rien ne coûte plus cher à un homme de bien que ce qu’on lui donne galamment ; c’est le lui vendre deux fois, et à deux prix différents, l’un de ce que vaut la chose, et l’autre de ce que vaut la bonne grâce. Mais il est vrai que la galanterie n’est pas une marchandise à l’usage des coquins, parce qu’ils n’entendent rien au savoir-vivre.

CCLXXIII

Connaître à fond le caractère de ceux avec qui l’on traite.

L’effet est bientôt connu, quand on connaît la cause ; on le connaît premièrement en elle, et puis en son motif. Le mélancolique augure toujours des malheurs, et le médisant des fautes. Tout le pire s’offre toujours à leur imagination ; et comme ils ne voient point le bien présent, ils annoncent le mal qui pourrait arriver. L’homme prévenu de passion parle toujours un langage différent de ce que sont les choses, la passion parle en lui, et non pas la raison ; chacun juge selon son caprice ou son humeur, et pas un selon la vérité. Apprends donc à déchiffrer un faux-sem-