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L’HOMME DE COUR

CCLVI

Se tenir toujours préparé contre les attaques des rustiques, des opiniâtres, des présomptueux, et de tous les autres impertinents.

Il s’en rencontre beaucoup, et la prudence consiste à n’en venir jamais aux prises avec eux. Que le sage se mire tous les jours au miroir de sa réflexion, pour voir le besoin qu’il a de s’armer de résolution, et, par ce moyen, il rompra tous les coups de la folie. S’il y pense sérieusement, il ne s’exposera jamais aux risques ordinaires que l’on court à se commettre avec les fous. L’homme muni de prudence ne sera jamais vaincu par l’impertinence. La navigation de la vie civile est dangereuse, parce qu’elle est pleine d’écueils où la réputation se brise. Le plus sûr est de se détourner, en prenant d’Ulysse des leçons de finesse. C’est ici qu’une défaite artificieuse est de grand service ; mais surtout sauve-toi par la galanterie, car c’est le plus court chemin pour sortir d’affaire.

CCLVII

N’en venir jamais à la rupture.

Car la réputation en sort toujours ébréchée. Tout homme est suffisant pour être ennemi, mais non pas pour être ami. Très peu sont en état de faire du bien, mais presque tous peuvent faire du mal. L’aigle n’est pas en sûreté entre les bras de Jupiter même, le jour qu’il offense l’escarbot.