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L’HOMME DE COUR

ils sont si peu à eux-mêmes qu’il y en eut un qui en fut appelé l’homme-à-tous. Ils sont autres qu’eux jusque dans l’entendement, car ils savent pour tous, et ignorent tout pour eux. Que l’homme d’esprit sache que ce n’est pas lui qu’on cherche, mais un intérêt qui est en lui, ou qui dépend de lui.

CCLIII

Ne se rendre pas trop intelligible.

La plupart n’estiment pas ce qu’ils comprennent, et admirent ce qu’ils n’entendent pas. Il faut que les choses coûtent pour être estimées. On passera pour habile, quand on ne sera pas entendu. Il faut toujours se montrer plus prudent et plus intelligent qu’il n’est besoin avec celui à qui l’on parle, mais avec proportion plutôt qu’avec excès. Et bien que le bon sens soit de grand poids parmi les habiles gens, le sublime est nécessaire pour plaire à la plupart du monde. Il faut leur ôter le moyen de censurer, en occupant tout leur esprit à concevoir. Plusieurs louent ce dont ils ne sauraient rendre raison quand on la leur demande, parce qu’ils respectent comme un mystère tout ce qui est difficile à comprendre, et l’exaltent à cause qu’ils l’entendent exalter.

CCLIV

Ne pas négliger le mal parce qu’il est petit.

Car un mal ne vient jamais tout seul. Les maux, ainsi que les biens, se tiennent comme des