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L’HOMME DE COUR

soucier. Y répondre, c’est se porter préjudice ; s’en offenser, c’est se décréditer, et donner à l’envie de quoi se complaire ; car il ne faut que cette ombre de défaut, sinon pour obscurcir entièrement une beauté parfaite, du moins pour lui ôter son plus vif éclat.

CCVI

Il y a partout un vulgaire.

À Corinthe même, et dans la famille la plus accomplie ; et chacun l’expérimente dans sa propre maison. Il y a non seulement un vulgaire, mais encore un double vulgaire qui est le pire. Celui-ci a les mêmes propriétés que le commun vulgaire, de même que les pièces d’un miroir cassé ont toutes la même transparence ; mais il est bien plus dangereux. Il parle en fou, et censure en impertinent. C’est le grand disciple de l’ignorance, le parrain de la sottise, et le proche parent de la charlatanerie. Il ne faut pas s’arrêter à ce qu’il dit, encore moins à ce qu’il pense. Il importe de le connaître, pour pouvoir s’en délivrer si bien que l’on n’en soit ni le compagnon, ni l’objet ; car toute sottise tient de la nature du vulgaire, et le vulgaire n’est composé que de sots.

CCVII

User de retenue.

Il faut prendre garde à son fait, surtout dans les cas imprévus. Les saillies des passions sont