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L’HOMME DE COUR

des dits est passagère. Les actions sont le fruit des réflexions. Les uns sont sages, les autres sont vaillants.

CCIII

Connaître les excellences de son siècle.

Elles ne sont pas en grand nombre, il n’y a qu’un phénix dans le monde. En tout un siècle il se voit à peine un grand capitaine, un parfait orateur, un sage : et il faut plusieurs siècles pour trouver un excellent roi. Les médiocrités sont ordinaires, soit pour le nombre, ou pour l’estime ; mais les excellences sont rares en tout, parce qu’elles demandent une perfection accomplie ; et que plus la catégorie est sublime, plus il est difficile d’en atteindre le plus haut degré. Plusieurs ont usurpé le surnom de Grand à César et à Alexandre, mais en vain ; car, sans les faits, la voix du peuple n’est qu’un peu d’air. Il y a eu peu de Sénèques, et la renommée n’a célébré qu’un seul Apelle.

CCIV

Ce qui est facile se doit entreprendre
comme s’il était difficile ; et ce qui est difficile comme s’il était facile.

L’un, de peur de se relâcher par trop de confiance ; l’autre, de peur de perdre courage à force de trop craindre. Pour manquer à faire une chose, il n’y a qu’à la compter pour faite ; au