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L’HOMME DE COUR

La mauvaise intention est le poison de la vie humaine, et, quand elle est secondée du savoir, elle en fait plus de mal. C’est une malheureuse habileté que celle qui s’emploie à faire mal. La science dépourvue de bon sens est une double folie.

XVII

Ne pas tenir toujours un même procédé.

Il est bon de varier, pour frustrer la curiosité, surtout celle de vos envieux. Car, s’ils viennent à remarquer l’uniformité de vos actions, ils préviendront et, par conséquent, ils feront avorter vos entreprises. Il est aisé de tuer l’oiseau qui vole droit, mais non celui qui n’a point de vol réglé. Il ne faut pas aussi toujours ruser, car, au second coup, la ruse serait découverte. La malice est aux aguets, il faut beaucoup d’adresse pour se défaire d’elle. Le fin joueur ne joue jamais la carte qu’attend son adversaire, encore moins celle qu’il désire.

XVIII

L’application et le génie.

Personne ne saurait être éminent, s’il n’a l’un et l’autre. Lorsque ces deux parties concourent ensemble, elles font un grand homme. Un esprit médiocre qui s’applique va plus loin qu’un esprit sublime qui ne s’applique pas. La réputation s’acquiert à force de travail. Ce qui