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REINE D’ARBIEUX

Reine, dans l’obscurité fraîche du salon, entendit soudain la clochette, pressentit la joie qui venait, et, follement, l’appela d’un vibrant désir. Elle n’osa pourtant pas aller au-devant du visiteur, fit semblant de lire. Puis, comme elle l’entendait qui parlementait avec Génie, la crainte lui vint que la vieille femme le renvoyât.

— Germain vient de partir… mais faites-moi le plaisir d’entrer.

Elle entre-bâilla la porte-fenêtre. Dans le salon comme ébloui, où les mouches dormant au plafond réveillèrent leur rumeur confuse, une large coulée d’or étincela. Non, elle ne pensait pas à son imprudence, ignorant peut-être le code étroit de la province, qui va jusqu’à interdire à une femme de s’arrêter avec un jeune homme dans la rue ou sur une route. Mais, si elle s’en était souvenue, elle eût pris plaisir à le braver. Le goût du risque remontait en elle, dans ces parties obscures de son être que son père lui avait léguées. La jouissance de recevoir, dans l’intimité, un parent pauvre qui lui plaisait, ne flattait pas seulement son goût de l’amitié ; elle y retrouvait un souffle de liberté et un élan de vie personnelle ; c’était un peu d’elle-même que la visite d’Adrien délivrait confusément d’une oppression de tous les instants, d’abord subie d’une manière presque inconsciente, puis peu à peu sentie, découverte, et dont la brisait le poids accablant.

Cette odeur de cretonne et de verveines pressées dans un vase rond, Reine la respire avec délices.