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REINE D’ARBIEUX

et remplissait le rez-de-chaussée de la maison tirée de son sommeil, désengourdie, contrastant avec le silence de la rue vide.

« Que lui a-t-on dit de moi ? » avait pensé Bernos, lorsque Reine s’était détachée d’un groupe pour venir à eux.

Après trois mois, alors qu’il se tenait à l’écart, fort d’une réserve irréprochable, et épiant dans l’ombre, l’existence du jeune ménage devinée à certains signes connus de lui seul se recomposait dans son esprit. Il savait que le jour viendrait pour lui de se glisser dans la vie de Reine. Il en était sûr. S’il jouissait d’être patient, tapi dans l’humi­lité de sa situation, c’est qu’il aimait comparer les colères brutales de Sourbets à sa force silen­cieuse, et savourait dans l’attente, dans la prémé­ditation d’un dessein ignoré de tous, une sorte de volupté. Peut-être y a-t-il dans la pensée de la vengeance longtemps méditée une joie plus vive que celle de l’amour ? Ce jour-là, Adrien vérifiait à loisir sur la jeune femme ses observations. À la revoir, avec sa bouche entr’ouverte, beau fruit blessé et comme éclaté sur ses dents d’une nacre éblouissante, il la comparait intérieurement aux images qu’elle lui avait laissées : toujours aussi fraîche, avec ses yeux doués d’un rayon si doux, si intense, mais plus émouvante, d’une beauté que le mariage avait modifiée sans l’épanouir, laissant filtrer une chaleur de vie plus profonde.

— Nous allons filer, dit Sourbets qui regardait sa montre.