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REINE D’ARBIEUX

pays, y avait fréquenté. Le comte, jusqu’à sa mort, tint table ouverte. Dans la salle à manger, où une massive argenterie jetait des éclairs blancs, il découpait lui-même les dindes de ses métairies. Chasseur imbattable, d’une parfaite sûreté d’œil, et qui préférait la plume au poil, il accrochait, suivant les saisons, dans une petite souillarde aérée, derrière la cuisine, la caille fondante ou les longues bécasses couleur de bois mort.

Il y avait longtemps que M. Dutauzin, modèle d’ordre et de prudence, qui connaissait à fond ses propres affaires et celles des autres, tenait pour certaine la ruine de cette famille. Le comte, à la mort de son père, s’était endetté pour désintéresser ses deux sœurs. Il l’avait fait avec générosité. De belle taille, le visage affable, éclairé par un sourire spirituel et fin, il avait le sentiment que noblesse oblige. Toute sa vie, alors que les hypothèques rongeaient d’un bon train ses terres et ses bois de pins, il pratiqua vis-à-vis de tous cette manière large, qui lui semblait la seule digne de sa classe, et s’accordait avec sa bonté. Les gestes désintéressés ne lui coûtaient pas. Il portait une veste de chasse flétrie par les pluies, mais prêtait à ses amis des sommes dont s’était perdu jusqu’au souvenir. Au milieu d’une petite société forcément prudente à l’excès, contrainte par une vie végétative à des miracles d’économie, il avait fait figure de roi. Mais il était aussi de ces hommes qui ouvrent une voie d’eau énorme pour boucher un