Page:Balde - Reine d'Arbieux, 1932.pdf/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
46
REINE D’ARBIEUX

parti pour lui, contre tous les autres, avec l’ins­tinct fougueux de son cœur.

Peut-être était-ce là le secret de son isolement. La société qui l’entourait, fortement établie dans ses idées et ses habitudes, et se détruisant peu à peu sans se modifier, avait échoué à l’absorber, à la retenir, ainsi qu’échappe aux mains maladroites une plume d’oiseau.

Le mal qu’on chuchotait des siens, et qu’elle sentait vaguement dans l’air, elle n’y croyait pas. Son père avait été heureux et beau. Il avait vécu un grand amour. Elle aussi respirait dans son sang le parfum de ce passé, en écoutait le secret murmure, évoquant la jeune femme ano­nyme, la mère sans visage, dont elle savait seu­lement que son père l’avait aimée jusqu’à ne pas vouloir lui survivre. Par leur souvenir, par l’en­chantement répandu sur eux, elle se sentait rat­tachée au royaume merveilleux, que le peuple des fourmis et des termites ne veut pas connaître, tout occupé à amasser et à détruire, mais qui caresse d’un rayon magique le front d’une petite fille née de l’amour et qui a pleuré longtemps dans son lit, si seule, si fragile, les baisers quelle n’a pas reçus.

La pluie ruisselait sur les vitres lorsqu’elle se coucha, la face inerte sur son oreiller, sans avoir même défait sa robe. Les larmes vinrent, puis de grands sanglots, qui l’épuisèrent. Ce monde qu’elle avait porté en elle, et qui avait été son refuge, l’asile où aucune flèche ne pouvait l’atteindre,