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REINE D’ARBIEUX

songe-creux sans situation stable, qui l’avait réduite à la misère et abandonnée. Mais il avait payé la pension du petit Régis. Il le recevait aux vacances. Presque chaque été, ce coin du Bazadais, dont il connaissait tous les chemins creux, paraissait à l’enfant délivré une sorte de paradis.

Combien il regardait ce soir le vieux pays pour s’en imprégner, absorbant au plus profond de son cœur ses couleurs et ses moindres traits, jusqu’à ce gros pin maritime, d’un bleu noir, isolé sur une petite pente. Sa souffrance était faite de toute celle qu’il allait causer. Sur les joues flétries de sa mère, il croyait déjà sentir le goût chaud des larmes. « C’est dix ans à passer là-bas, quinze ans peut-être ? » se disait-il. Pouvait-il choisir ? Pour un garçon de vingt-huit ans, qui a grandi au milieu des ruines familiales, le salut est souvent de s’expatrier. Régis avait pensé au Sénégal, vieille colonie noire, où tant de Bordelais se sont enrichis à trafiquer d’arachides, de gomme et de cotonnades que le seul nom de Dakar et de Saint-Louis semble auréolé d’une promesse de fortune. Ces comptoirs de l’Ouest africain exercent un attrait si puissant sur les enfants qui ont joué, dans de vieux salons, avec les longues bourses de soie qu’appesantissent les œufs d’autruches lisses et polis comme les globes d’un ancien ivoire.

C’était la dangereuse chance de Régis qu’un grand armateur bien connu dans le haut négoce, et qui avait été autrefois lié avec sa famille, lui eût proposé une situation dans un de ces bazars