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REINE D’ARBIEUX

au Sénégal. Est-ce que vous savez qu’il est mort ?

Il allait et venait dans le salon, remué par ces souvenirs. Un homme dur, cet Adrien, qui avait fait en Afrique trente-six métiers, dévoré d’une fièvre d’aventures, de mouvement, et qu’un paquebot revenant du Congo avait débarqué à Dakar, presque moribond, l’année précédente. Une plaie qu’il avait à la main s’était gan­grenée. Il avait fallu lui couper le bras. Trop tard ! Régis revoyait sur un lit d’hôpital ce déra­ciné. La mort pinçait déjà le nez en bec d’épervier. Ainsi solitaire, comme abandonné, il semblait encore faire face aux événements, gardant sur son masque décharné une étrange expression de paix.

Mme Lavazan demanda :

— Est-ce qu’il t’a parlé de Reine ?

— Non, répondit Régis, il ne m’a rien dit.

Lorsque l’exilé se retrouva seul, le soir, dans sa chambre, il mesura son abdication. Dans ce vieux pays, la vie continuait à l’image du ruisseau cou­lant au fond du vallon : mais pour lui, les choses étaient comme ces arbres dévorés en dedans par les insectes, qui semblent intacts, et dont on découvre, quand ils s’affaissent, le tronc creux et vide.

Que restait-il de sa jeunesse ? L’heure était passée, l’heure si brève où l’on peut choisir. Ses études, lui-même les avait abandonnées. Il avait reculé devant l’effort comme devant l’amour. Reine ? Il souffrait de son reniement. Mais quelle