Page:Balde - Reine d'Arbieux, 1932.pdf/219

Cette page a été validée par deux contributeurs.
219
REINE D’ARBIEUX

faible vent, était moins épais, et l’on voyait ses nappes claires glisser sur la lune. Dans leur cabine, les passagers s’étaient couchés, pressés de dormir, comme on fait un bon repas avant le départ en prévision des fatigues prochaines et du mal de mer. Il n’y avait plus qu’un homme sur le quai désert — une forme massive, arrêtée dans l’ombre du hangar.

Plusieurs fois, les yeux aigus de Bernos, qui fouillaient la brume, avaient cru distinguer cette silhouette immobile. Un malheureux, sans doute, un désespéré, qui ne voulait pas rentrer chez lui, ayant choisi pour refuge la solitude sinistre du port !

Un peu après minuit, comme Bernos, toujours surexcité, marchait sur le pont, Sourbets se coucha dans sa voiture. Derrière des ballots de peaux de moutons qu’une bâche nappait de ses grands plis raides, cette petite auto familière éveillait l’image de la maison, de toutes les choses qu’il avait quit­tées. Il s’y jeta, ankylosé, et sombra dans un lourd sommeil.

Quand il se réveilla, le ciel pâlissait sur les coteaux et un bruit d’eau remuée s’élevait avec force dans le silence. Le Lotus partait. Il se pen­cha hors de la capote, distingua la silhouette soli­taire de l’émigrant qui avait failli mourir de sa main. Sa haine semblait morte. La veille au soir, quand Adrien s’était avancé en pleine lumière, il avait vu sur sa figure tous les stigmates des pas­sions déçues.