poussée dans ce mariage comme dans un abîme ; qu’elle n’était pas libre !
Ils étaient arrivés au bout de l’allée, devant une rampe de pierre à balustres qui bordait l’immense esplanade, en face du port. Quelques feux disséminaient sur l’eau obscure des taches brillantes. Reine enveloppa d’un regard les paquebots amarrés au quai. Elle s’appuya à la banquette, comme fascinée, ne pouvant détacher ses yeux du fleuve parsemé de formes massives qui exerçaient sur sa volonté une attraction indéfinissable. Un battement de cœur l’étouffait. Comme on s’accorde parfois une pensée défendue, pour soulager momentanément une trop lourde peine, elle imaginait le bonheur de fuir sur un bateau peu à peu détaché du quai. L’impression qu’elle éprouva fut si forte que ses mains s’accrochèrent à la balustrade.
Un quart d’heure après, comme ils avaient redescendu ensemble l’allée, et qu’Adrien l’entraînait vers l’hôtel, elle jeta encore un long regard vers les rues désertes : aucune voiture, tout conspirait à rendre impossible ce retour en arrière que quelque chose continuait d’exiger en elle. Le garçon ensommeillé parlementa un moment dans le bureau avec Adrien : des voyageurs sans bagages à une heure pareille, qu’est-ce que cela pouvait signifier ? Il parlait de réveiller la patronne. Mais, Adrien ayant tiré son portefeuille, il se radoucit, fourra hâtivement un billet bleu dans la poche de son pantalon et présenta les fiches à remplir.