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REINE D’ARBIEUX

y avait songé à plusieurs reprises, s’était repu de son humiliation. Mais ensuite ! Il regardait devant lui, avec une étrange sensation de vide, comme si un vertige lui ôtait la vue de la route à suivre.

Le soir, avant de quitter la fabrique, il passa dans les ateliers et donna ses ordres. Le départ d’Adrien était-il connu ? Il lui sembla qu’on le regardait d’un air singulier. Parmi tous ces gens, hommes et femmes, qui épiaient les signes de la crise, quel était le misérable qui avait écrit la lettre anonyme ? Il songea à une vieille ouvrière dont il avait renvoyé le fils ; à telle autre, petite, grima­cière, que l’on disait venimeuse comme une vipère. Il l’aperçut dans le magasin d’emballage, faillit marcher brusquement vers elle ; mais il se contint, détourna la tête. À deviner derrière lui un attrou­pement de langues pointues, une rumeur d’insultes, il se sentait les jambes coupées ; par un bizarre effet de l’imagination, sa figure aussi lui faisait mal, comme si le coup de poing de la douleur l’avait marqué en plein visage.

Lorsqu’il traversa le bureau d’Adrien, l’irrita­tion qui remonta soudain en lui ranima un moment ses forces. Il ferma sa porte, resta appuyé contre le chambranle ; ensuite, avec lassitude, se jeta sur le canapé. Il n’éprouvait plus que le désir de voir Reine. Par un recul instinctif de la nature qui se dérobe, et cherche une issue, dans les moments de grande souffrance, il réclamait d’être convaincu que tout cela n’était que mensonges. Mais s’il n’y