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REINE D’ARBIEUX

détrempé absorbe lentement des taches d’eau. L’idée lui revint d’un procès qui devait être jugé le lendemain, dans l’après-midi ; une vieille affaire de papiers détériorés qui traînait en longueur depuis plus d’un an, et reparaissait juste au moment où il n’avait pas la tête à s’en occuper. Puisqu’il était forcé d’aller à Bordeaux, ce serait une occasion d’y amener Reine : « Oui, oui — et il avait l’air de soutenir une discussion contre un contradicteur invisible, — elle était assez bien pour l’accompagner ! »

Le vent tournait, le temps se lèverait vers le soir, et une sortie serait pour elle une distraction. Une distraction ! Pourquoi pas ? Ses mains brunes se crispaient sur le volant comme s’il eût fait un effort pénible. La veille au soir, il l’avait même surprise devant son piano. Si elle recommençait à jouer, c’est qu’elle allait mieux ; on ne fait pas de musique lorsqu’on est malade. Les yeux fixés sur la perspective de la route droite, il sentait grandir un mécontentement de lui-même, une sensation bizarre de faiblesse, d’impuissance sourde, qui est dans une nature fruste une sorte de frisson avant-coureur.

Il avait l’intention d’aller de bonne heure à la fabrique pour voir le courrier ; son avocat, Me Desfontaines, avait dû donner une réponse, et il s’en voulait d’avoir laissé à Adrien le soin de lui écrire ! Déjà se montrait un bouquet de chênes, à l’angle du chemin qui descendait vers le Ciron ; mais au lieu de tourner, il fila droit, dévorant la route.