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REINE D’ARBIEUX

jeune femme, elle était étonnée que son regard cherchât si souvent ses yeux, tour à tour insi­nuant ou inquisiteur, tâtant ses idées, ses senti­ments, les surprenant d’un bref coup de sonde, puis se retirant dans des silences respectueux, adouci, charmé.

L’après-midi passait, une odeur d’automne flot­tait dans le bois, où s’élevait très haut la tête des pins, et elle n’avait pas conscience du temps, revi­vant ces heures remplies de sensations si vives, si pressées, qu’elles empruntaient à leur brièveté même, à leur caractère exceptionnel, un mystère délicieux, et dont se reformait le cours dans la rêverie, sensations plus exquises de reparaître après des jours obscurs et pénibles où son goût de vivre aurait cru sombrer. Où était le mal ? Elle aurait voulu savoir s’il avait vraiment une liaison et s’en inquiétait, sans arrière-pensée, se dupant soi-même, plus attachée qu’elle ne voulait se l’avouer à une affection imaginaire.

Elle s’était levée, regardait encore les toitures du moulin, au milieu des arbres. Déjà le plaisir qui avait été si parfait ne lui suffisait plus. Pour­quoi Adrien n’était-il pas revenu la voir ? Lui avait-on cherché une mauvaise querelle ? Quelque chose la poussait : les scènes qui l’avaient tant effrayée lui semblaient lointaines, comme si Ger­main avait perdu le pouvoir de la dominer. Elle secoua sa robe où des aiguilles de pins étaient atta­chées et prit le sentier qui formait des lacets vers la fabrique.