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REINE D’ARBIEUX

mière émotion passée, une nouvelle forme de la jalousie s’éveillait en lui, celle de l’homme qui se sent d’avance dépossédé par l’enfant encore inconnu.

« C’est la dernière fois, » pensa Reine, lorsque Germain tira la portière.

Les dimanches suivants, elle tiendrait bon ! Comme la voiture démarrait devant la maison, elle fit un signe d’adieu à Génie. La vieille femme, au milieu de la route, les regarda partir ; elle n’avait osé rien dire, mais Monsieur aurait bien dû voir que la pauvre Madame avait triste mine. Si elle était malade en voyage, il n’y aurait personne pour la soigner ! Jusqu’à ce que l’auto eût disparu, elle resta debout, la suivant de ses yeux fidèles et apitoyés.

L’après-midi était orageux et un nuage roux cachait le soleil. Germain avait promis de ne pas aller vite, mais déjà l’allure de l’auto s’accélérait. Reine ferma les yeux, sentit sur son visage le soufflet du vent. La route pavée était à cet endroit mal entretenue ; un cahot la fit tressaillir, un autre encore, éveillant dans son corps de sourdes dou­leurs. Une angoisse sacrée lui serra le cœur. Était-il vrai qu’elle « s’écoutait trop » ? Comment faisaient les autres femmes qu’on lui citait sans cesse en exemple et qui supportaient jusqu’à la fin de leur grossesse des travaux pénibles ? Qu’elle serait heu­reuse, lorsque ce temps de malaise et de crainte serait terminé ! Tandis que Germain, les yeux sur la route, grisé de grand air, s’épanouissait dans