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REINE D’ARBIEUX

au fond une bouillie noire. Comme il est fréquent, une dépression succédait en lui à la colère : une lourde fatigue qui n’était peut-être que le sentiment de son impuissance.

— Cet animal ne viendra pas !

Des injures montaient à sa bouche. Il les grom­mela, avec un espoir mal étouffé que l’autre enten­drait à travers la porte, mais sans oser élever la voix. Celui-là savait cacher son jeu ! On lui eût craché à la figure qu’il aurait eu l’air de ne pas s’en apercevoir. Un homme qui vous mettait hors de vous-même ! Que faire ? Il ne pouvait pourtant pas le chasser sur l’heure, sans même un prétexte Qu’eût-il dit à Reine ? Ah ! il payait cher la faute qu’il avait faite en le recevant. Il n’avait pas fallu longtemps pour qu’il sentît dans ce moulin qui était son domaine — comme la vieille France celui de nos rois — une gêne incompréhensible. Alors même que l’intrus serait resté dans son bureau des journées entières, muet et invisible, il le sentait là ; l’air qu’il respirait n’était plus le même. Jamais il ne songeait au sentiment qui l’avait poussé, le jour où il lui avait ouvert sa porte, sans éprouver une colère sourde, grossie ce matin-là des impressions de la nuit dernière.

Cela lui ressemblait si peu d’être faible. Élevé par un père rongé d’avarice, mais qui s’enor­gueillissait de ce fils unique, et n’eût pas souffert à son foyer un second enfant, un autre héritier, il avait pris de bonne heure l’habitude de tout rapporter à soi, fortifiant, grâce à la complicité de