Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/304

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous devons nous arrêter en nous repentant et nous répandant en regrets. Nous devons rassembler tout ce qui nous reste de force, de sagesse, de savoir, de santé, de passion et de volonté pour concentrer toutes ces facultés sur le but unique qui nous fut et nous sera toujours cher ; et ce but vers lequel, tous les deux nous marchons, c’est la Révolution sociale. Pourquoi donc, demandes-tu, si nous la verrons ? Pas plus que toi, je ne saurais le deviner. Et quand même nous aurions cette chance, mon bon Ogareff, personnellement, cela ne nous donnerait pas beaucoup de bonheur. Une génération nouvelle, d’autres hommes, jeunes et forts — ce ne seront pas des Outine, bien entendu, — viendront nous balayer de la surface de notre globe, notre existence devenant inutile. Eh bien, nous leur remettrons nos armes, et les laisseront continuer l’œuvre par leur propre action. Nous irons alors goûter le repos éternel. Mais actuellement, nous sommes encore utiles, c’est indéniable. Et, sans fouiller davantage notre âme, mais en nous traitant nous-mêmes comme des instruments gâtés et déjà, en partie, brisés, qu’il faut bien connaître pour pouvoir s’en servir, — et qui donc les connaît mieux que nous-mêmes, — sans exiger de notre existence un impossible que nous ne saurions atteindre et sans nous abandonner à la désolation à cause de nos faiblesses. Il faut seulement nous appliquer à les atténuer dans la mesure du possible.

Faisons donc appel à toute notre énergie, à notre passion qui, grâce à nos dieux, n’est pas encore éteinte en nous, mettons-nous vaillamment à notre besogne et travaillons jusqu’à notre dernier soupir.

Voilà en quoi, mon cher Ogareff, se résume la vie pour nous. Et pour que cette vie nous donne à chacun