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si je te dis que tu te trompes de beaucoup. Car, tu me juges d’après mes actes dans la société civilisée, dans le monde bourgeois, où, en effet, j’agis sans me préoccuper de la tactique et sans la moindre réserve, sans façon, avec une franchise implacable et même, souvent injurieuse.

Et sais-tu pourquoi, j’agis de la façon dans cette société ? C’est parce que je n’en fais aucun cas, parce que je ne reconnais pas en elle une force productive et progressive. Je sais très bien que matériellement, elle possède tous les moyens ; que la force organisée selon la routine de l’État, ne lui manque pas ; elle en a même plus qu’il ne lui en faut. Mais alors, il faut lutter avec cette force, il faut la détruire. Il n’y a pas de réconciliation, pas d’arrangement à faire, parce que, en effet, elle ne saurait être amenée à aucune concession ; elle ne peut faire un seul pas en avant, étant par la force des choses elles-mêmes toujours repoussée en arrière. La combattre ouvertement, engager une lutte à outrance, peut présenter un certain danger et entraîner de grands inconvénients, personnellement cela peut attirer beaucoup de désagréments, j’en ai fait l’expérience moi-même, mais c’est utile, et c’est même indispensable pour le succès de la cause populaire, afin que le peuple soit à même de poser sa question nettement et fermement en la purifiant de tout mélange qui pourrait avoir un caractère bourgeois. Cette lutte à outrance est également utile et indispensable au combattant lui-même, dans ce sens, que son attitude franche et loyale vis-à-vis le monde bourgeois, explique sa propre situation, qu’elle prouve sa sincérité et lui assure le terrain de la cause populaire. Je suis, donc, parfaitement d’accord avec toi que, dans la question bourgeoise et dans