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sa simplicité tout à fait enfantine, presque primitive !… Je te remercie de ta lettre pour le brave vieux Quadrio, merci aussi à Zamperini de m’avoir recommandé à Spreafico. Tous les deux m’ont accueilli très amicalement. Je me suis laissé entraîner dans une discussion avec le vieux, mais légèrement et sans trop approfondir la brûlante question de la Libertà et du Socialismo. Il est fort, bien portant et travaille toujours avec le même entrain, sans jamais connaître la fatigue. Nous avons tenu un conciliabule à nous trois et nous avons décidé que le mieux serait de m’établir à Locarno. Le lendemain j’étais déjà sur place, et, avec l’aide de bonnes gens, que mes nouveaux amis m’ont recommandées, j’ai réussi à trouver un appartement et une bonne. J’ai 55 francs, par mois, de loyer pour quatre belles pièces meublées et une vaste cuisine ; avec cela trois lits, le linge et la vaisselle nécessaires, avec une magnifique vue sur le Lago Maggiore. L’appartement, tout ensoleillé, donne sur un jardin. La bonne, nourrie et couchée, est payée 15 francs par mois. Il paraît que tout ici est deux fois moins cher qu’à Genève. Et ce large, cette liberté, cette simplicité, cette douceur de climat (comme à Nice), cet air vivifiant, toute cette beauté de la nature, en un mot, — c’est un paradis terrestre. Il est vrai, qu’ici on ne trouve pas de société dans le sens bourgeois ; mais dans notre sens, — comme toi et moi nous comprenons ce terme, — il y en a une très intéressante. J’ai déjà acquis un ami — ma Providence — Angelo Bettoli — armajolo, c’est-à-dire fabricant de fusils. C’est un mazzinien éprouvé, pour lequel, personnellement, Mazzini a une grande affection ; il m’a reçu comme un frère et m’a emmené dîner chez lui ;