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jourd’hui, ce qui ne l’empêchait pas, cependant, d’être le plus honnête homme du monde, et de respecter au-dessus de tout les lois et les instincts les plus humains. Il est vrai que c’était un fanatique du régime de l’ancienne Moscovie, mais, dans son exaltation pour cet ordre de choses, il s’inclinait respectueusement devant les droits de l’homme ; la voix de la conscience et le sentiment de la Justice n’étaient pas étouffés dans son cœur[1]. Son fanatisme de fidèle à l’ancien régime moscovite était subordonné à la religion suprême qui de notre temps s’appelle l’humanité.

En véritable défenseur de l’orthodoxie en Russie, théoriquement, avec Khomiakoff et les frères Kiréevski, Constantin Serguéiévitch Aksakoff lançait l’anathème contre la Pologne catholique ; dans la pratique, obéissant à l’instinct le plus élevé de l’homme, toujours vivace en lui, et grâce auquel il avait conservé sa loyauté, il allait avec Stankévitch, au risque de perdre sa propre liberté, visiter dans la prison de Moscou des Polonais envoyés en Sibérie pour crimes dits politiques. Laissant ses théories de moscovite orthodoxe au seuil de la prison, il redevenait alors, lui-même, et plein de chaude sympathie et d’estime pour ces prisonniers, il faisait pour eux tout ce qu’il pouvait. Je vois encore son doux et sympathique

  1. Il n’est pas inutile de rappeler ici que les anciens slavophiles, qui avaient à leur tête Khomiakoff et Kiréevski, étaient bien loin de prêcher la russification des peuples subjugués par la Russie, comme on l’a fait à une époque plus récente. En 1831, Khomiakoff, lui-même, écrivit une poésie sympathique à la Pologne (Drag.)
    En 1831 eut lieu la première insurrection des Polonais assujettis à la Russie (Trad.)