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pression gouvernementale devenue, au dire de tous tout à fait insupportable dans ces derniers temps, il se trouvât un homme décidé dont l’esprit, peut-être, est moins développé que le nôtre au point de vue philosophique, mais qui est doué d’une énergie que nous ne possédons pas ; que cet homme ait jugé possible de trancher le nœud gordien d’un seul coup. Et je lui porte beaucoup d’estime parce qu’il a pensé ainsi et parce qu’il a agi comme il avait pensé. Malgré toutes les erreurs de sa théorie, nous ne pouvons lui refuser notre estime et nous avons le devoir de le reconnaître hautement l’un des nôtres, devant cette foule avilie de valets rampant aux pieds de leur maître. Dans ce même article, tu admires, au contraire, chez le jeune paysan[1] une présence d’esprit « extraordinaire », une « rare » faculté de combinaison et une adresse de mouvement.

Mon cher Herzen, tout cela ne tient pas debout ; c’est absurde, c’est ridicule, ce n’est plus de toi. Qu’est-ce qu’il y a donc de si « extraordinaire », de si « rare » dans le geste d’un homme qui, en voyant une main levée pour frapper, saisit cette main, arrête le coup. Mais chacun pourrait faire la même chose, un vieillard aussi bien qu’un jeune homme, un admirateur dévoué, comme un ennemi acharné du tzarisme, dans l’esprit duquel, comme dans le mien, par exemple, la vie du tzar n’est assurée d’aucune manière ; qu’au contraire, le sang des Polonais et des Russes innocents, en profusion versé par sa volonté, crie vengeance. Tout le monde agirait comme ce « jeune paysan » sans avoir pour cela

  1. Comissaroff (Trad.)