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bien, mais nous ne possédons pas les objets réels qu’ils désignent et nous ne les aurons pas tant qu’un tzar nous gouvernera.

En quoi voyez-vous donc un progrès réalisé ? Quelle est la réalité de ce cadeau que le gouvernement donna aux paysans ? Est-ce donc le bon marché de l’alcool qui permet à ce pauvre peuple, et même à la femme, de chercher des moments d’oubli dans l’ivresse ? Curieux mouvement social au milieu d’un peuple intelligent et vivace, qui ne peut se résumer que dans l’ivresse universelle. « … Notre poire mûrit avec chaque jour et chaque heure », dites-vous. Peut-être bien, mûrit-elle, mais alors, ce n’est pas à l’État qu’elle doit sa maturation, et il n’aura pas à s’en féliciter. Mais, en attendant que cette poire devienne mûre, l’ordre de choses qui, actuellement, seul est possible en Russie prévaudra ; c’est l’État qui englobe tout, opprime tout, qui corrompt tout. Et, après cela, comment pourriez-vous affirmer « qu’une réaction nourrie et régulièrement entretenue ne saurait se produire en Russie, vu qu’il n’existe pas de nécessité réelle qui ait pu la provoquer ; parce qu’elle est inepte dans sa nature même, elle doit perdre ce caractère insensé, avec lequel elle se manifeste chez nous » (15 décembre 1835, p. 1718). Il me semble, au contraire, que depuis la fondation de l’État moscovite, après que la vie populaire fut étouffée à Novgorod et tuée à Kieff ; après que les révoltes de Stenka Razine et de Pougatcheff furent écrasées, seule la réaction peut suivre une marche régulière et seule être efficace dans notre malheureux pays, déshonoré par l’infamie gouvernementale. Les phénomènes qui dans les autres pays de l’Europe, n’ont eu qu’un caractère intermittent, acqui-