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Stenka Razine, les Pougatcheff, le raskol ; et c’est uniquement d’ici que viendra la moralisation et le salut de la nation russe. Mais alors, ce côté-là n’est plus officiel et ne peut suivre une évolution pacifique. C’est la Russie révolutionnaire, révolutionnaire alors même qu’en s’éveillant elle évoque encore le nom du tzar.

Nonobstant toutes les défectuosités de la commune rurale en Russie que je viens de démontrer, vous lui reconnaissez deux vertus essentielles, deux avantages dont l’un revêt un caractère absolument négatif. C’est l’absence du droit romain et en même temps de tout droit juridique que chez le peuple russe remplace un droit vague, non formulé, mais qui est tout à fait brutal et qui, dans son application à l’individu, est plutôt négatif.

La deuxième vertu, si vous voulez, peut être considérée comme une vertu positive, — c’est la conception ou plutôt l’instinct chez le peuple russe, que chaque paysan a droit à la terre. Mais, en analysant cette conception de l’esprit populaire, on pourra voir aisément que ce n’est nullement l’affirmation du droit de la population entière, des masses, à toute la terre dans le pays, qu’il y a là une autre idée tout à fait déplorable en elle-même, et qui attribue la terre dans tout le pays à l’État et au chef de celui-ci, qui est l’empereur. Dois-je insister sur la différence entre ces deux thèses :

La terre appartient au peuple.
La terre appartient à l’empereur.

La conséquence de la dernière est celle-ci : le tzar distribue des lots immenses de terre inoccupée à ses généraux ; auparavant il pouvait leur distribuer