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existence que l’esclavage le plus abominable et le plus odieux ; que l’avilissement de la femme et l’inconscience, ou plutôt la dénégation absolue de ses droits et de son honneur, jusqu’à cette apathique indifférence avec laquelle, — toujours dans les intérêts du mir[1], — elle est livrée au caprice du premier venu tchinovnik[2] ou officier ? L’abomination de la pourriture, l’arbitre du despotisme patriarcal et des coutumes, l’assujettissement de l’individu au mir et le poids écrasant de ce mir qui tue en germe toute initiative individuelle, l’absence complète, non seulement, de droit juridique, mais de simple justice dans toutes les décisions du mir ; ses agissements sans façon, avec rudesse, de plus, avec une joie malicieuse vis-à-vis ceux de ses membres qui ne sont ni riches, ni puissants ; la cruelle et systématique oppression que le mir exerce sur tout individu qui a osé manifester le moindre sentiment d’indépendance, ce mir toujours prêt à vendre le droit et la justice pour une dizaine de litres d’eau-de-vie ; voilà ce que nous donne la commune rurale de la Russie et ce qu’elle présente dans son intégrité. Ajoutez à cela la faculté de tout membre de la commune, élu à l’administration rurale, de subir une métamorphose instantanée, en devenant fonctionnaire oppresseur, n’ayant cure que de ses pots-de-vin, et vous aurez un tableau complet de cette commune rurale traînant son existence paisible et soumise sous la protection de l’État moscovite.

Il est vrai que la Russie présente encore un autre côté, celui de la révolte, d’où jaillirent les

  1. Collectivité des membres de la commune rurale (Trad).
  2. Fonctionnaire civil de l’état (Trad.).