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Vevey. On ne saurait, d’ailleurs, douter de sa bonne foi en apprenant à le connaître de plus près.

Dans son journal, il a pu faire passer des aphorismes comme celui-ci : « Que le bras qui jamais oserait se lever contre le peuple soit maudit et se dessèche ». Après la publication de cet article, tous les sous-officiers d’un régiment de la garde déléguèrent une députation pour lui présenter une adresse de leur part, que vous lui demanderez de vous montrer et qui, je pense, sera de votre goût. Lorsque la révolution polonaise éclata, il renonça à diriger ce journal qui, cependant, lui rapportait beaucoup et il émigra à l’étranger avec toute sa famille — sa femme, aimable et loyale, comme lui, plutôt Russe que Polonaise, et plusieurs petits enfants. Il a pu emporter avec lui ses modestes économies s’élevant à quinze mille roubles, qui l’empêchèrent de mourir de faim. Il a offert ses services aux Polonais qui, pourtant, ne les acceptèrent pas, grâce à l’étroitesse de leur point de vue. Je vous prie, mes amis, de lui accorder toute votre attention. Je suis convaincu, que, dirigé par vous, il pourra nous être très utile. Mais, pour entretenir des relations avec lui, il faut avoir une bonne dose de patience. Il est quelque peu vantard, assez ignorant ; avec cela il a la tête montée et il est naïvement ambitieux. Surtout il ne connaît pas du tout la vie européenne et avec l’ingénuité d’un enfant s’abandonne aux rêveries philanthropiques ou à de vains projets. Mais il n’y a pas de mal à tout cela ; je vous le répète, dans cette agglomération de matières hétérogènes, vous trouverez des parcelles d’or pur.

À Genève, j’ai passé plusieurs jours avec Bakst et j’ai fini par l’aimer plus que je ne l’avais aimé à Londres. Je lui avouai franchement que j’avais soup-